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" La force est dans la vérité"
( J. Green )
Une petite fille au lourd secret
Ma mère est née en 1925 en Vendée - sur cette terre de grands hommes et de genêts en fleurs. Une terre d'eau et de vents. Une terre de foi, comme en atteste encore de nos jours, la profusion des croix, des calvaires, des lieux-dits aux noms de saints. Le culte marial y était très développé. Son village se trouvait en pays mareuillais, en "Pays d'Entre-Plaine-et-Bocage" selon l' heureuse expression d'un prêtre et historien du terroir. C'était une belle campagne verdoyante et vallonnée, un paysage de vignobles et de champs entourés de haies.
Dans ce monde rural, l'église rythmait la vie quotidienne. Le curé parcourait la campagne en lisant son bréviaire. Il écoutait, conseillait, rendait visite aux malades. De nombreuses familles s'enorgueillissaient de compter en leur sein un prêtre ou une religieuse.
La foi catholique se caractérisait également par l'attachement des parents aux écoles chrétiennes. A cette époque, l'école publique était diabolisée, c'était l'école des Rouges. Choisir son école c'était aussi choisir son camp. Maman fréquenta donc l'école libre des filles car mes grands-parents étaient catholiques. Ils ne parlaient pourtant jamais de religion à la maison. C'était en effet un sujet conflictuel car les opinions divergeaient au coeur même de la famille. Mon grand-oncle et sa femme étaient des instituteurs laïcs, viscéralement et violemment anticléricaux.mère était une petite fille timide et obéissante. Elle vivait à l'ombre d'une grande soeur de quinze ans son aînée. C'est à cette fillette ordinaire qui commençait sa scolarité qu'il allait arriver quelque chose d'extraordinaire. Ce jour-là était un jour parfaitement identique aux autres. Maman était dans sa classe, assise derrière son pupitre comme les autres petites écolières. La maîtresse se tenait debout devant le tableau, vêtue d'une stricte blouse noire. Elle montrait les lettres de l'alphabet du bout de sa badine. C'est alors que la Sainte Vierge apparut à la petite fille qu'était maman. Sans se retourner, elle l'a vit dans la cour de récréation, sur un pan de mur. Elle était grandeur nature, entourée d'une large bande de fleurs d'un bleu pâle. Cette image ne resta visible qu'une poignée de secondes puis elle disparut soudainement. Pendant plus de soixante-dix ans personne ne le sut. Que signifiait cette apparition? Les images représentant Marie ne figuraient nulle part dans la maison de ses parents. A qui raconter ce qu'elle avait vu? Bien qu'ayant sept ans à peine, elle savait qu'elle devait garder cet événement secret. Cette vision, vivante au plus profond de son coeur, maman la revit des milliers de fois tout au long de sa vie. La Sainte Vierge était-elle entrée dans sa vie comme une promesse de bonheur? Etait-ce un appel à la vie monastique? Maman vivait seule avec cette énigme qui ne se laissait pas deviner.
Une vocation contrariée
Ma mère fit sa première communion en juin 1936. Trois ans plus tard la Seconde Guerre Mondiale éclatait - elle avait quatorze ans. Son frère aîné fut mobilisé. Le fiancé de sa soeur également. Ces années-là pour ma mère ce sont des images détachées, des émotions qui l'ont marquée, le souvenir de certains événements. C'est la débâcle avec son cortège d'humiliations... C'est l'occupation de la région par l'armée allemande et la société mareuillaise qui a vite fait de se cliver en camps adverses... Ce sont les chevaux réquisitionnés et les larmes de mon grand-père - Poilu de la Grande Guerre - qui voit partir sa jument pour le front... C'est l'exode et l'arrivée massive de réfugiés ardennais... C'est un avion allemand qui s'écrase à quelques mètres de la maison... C'est le fiancé de sa soeur qui meurt peu après son retour d'Odessa...A quinze ans, maman se joignit au groupe des Enfants de Marie. Elle aimait la compagnie des Soeurs -leur silence, leur vie régulière et bien structurée, leur dévouement, la simplicité - parfois un peu naïve - de leur foi. Les Soeurs, quant à elles, appréciaient le caractère docile et réservé de maman.
Petit à petit ma mère sentit naître en elle une vocation religieuse. Elle n'était cependant pas attirée par une vie claustrale et contemplative. Elle souhaitait s'occuper des nourrissons malades et hospitalisés. Comment sa mère l'apprit-elle? Maman l'ignore, mais elle se souvient encore de ce dimanche après les vêpres lorsqu'elle fit irruption dans la sacristie où elle rangeait les habits sacerdotaux Elle lui dit alors avec sévérité : "suis-moi immédiatement". Ma mère a obéi. Son rêve venait de se briser. Qu'il fut triste ce jour où elle dut renoncer à l'avenir qu'elle voulait se construire! Ma grand-mère était une femme intransigeante. Ses décisions tombaient comme un couperet. Le sujet ne fut plus jamais abordé. Des larmes plein le coeur maman commença son ap
prentissage de couturière.
Epouse dévouée et maman aimante
Ce fut en 1947 qu'elle rencontra celui qui allait devenir son mari. Mon père aurait dû naître à Sotteville-les-Rouen où ses parents étaient installés. Sa mère voulut le mettre au monde dans sa Vendée natale. Il naquit donc en plein coeur du Bocage vendéen dans la demeure maternelle. Sa mère était croyante mais non pratiquante. Son père avait rejeté avec force la religion catholique bien qu'ayant été élevé chez les jésuites. L'éducation chrétienne de mon père se limitait au baptême.
Le 30 mai 1950, à la veille de son mariage, maman reçut une lettre de son futur beau-père l'engageant à se marier civilement. Elle montra aussitôt cette lettre au doyen de sa paroisse. Celui-ci n'ignorait pas son désir de devenir religieuse, mais il lui dit avec sagesse : "Dieu vous appelle peut-être pour une autre mission"...Le mariage fut célébré à l'église le 31 mai 1950. L'année suivante son beau-père décédait des suites d'un cancer des poumons. Deux ans plus tard sa belle-mère disparaissait à son tour.Ils avaient à peine franchi la cinquantaine. A 27 ans mon père restait sans famille, n'ayant ni frère ni soeur.
Mes parents n'ont eu aucune difficulté à s'adapter l'un à l'autre. Leurs goûts étaient parfaitement accordés. Ils se découvraient en même temps qu'ils découvraient la vie de couple. Tout avait le charme de la nouveauté.Maman était la douceur et la résignation acceptée. Une chose pourtant lui importait : fonder une famille. Or, mon père ne voulait pas d'enfant. Peut-être partageait-il inconsciemment l'idée selon laquelle "un enfant, une fois qu'il est né, est le point de non-retour dans une vie humaine"? Quoiqu'il en soit leur premier-né ne vint au monde qu'en 1953.Lorsqu'il fut en âge d'être scolarisé, un premier conflit éclata. Pour mon père la meilleure école était celle de la République. Il finit pourtant par consentir à l'inscription de son fils dans une école dirigée par les Frères. Quand Maman évoquait la religion, elle le faisait d'une façon subtile, tout en nuances. Elle savait d'instinct quand il était prêt à écouter. Mon père avait 34 ans lorsqu'il reçut - pour la première fois - le Sacrement d'Eucharistie. C'était le jour de la première communion de son fils. Cette double communion fut pour maman un grand moment de joie.Lorsque le mois suivant elle sut qu'elle attendait un deuxième enfant, elle désira ardemment donner naissance à un fils. Elle promettait en son fors intérieur de le consacrer à Dieu - en remerciement de la conversion de son mari. Ce fut... une fille qui vint au monde en 1961.
Huit ans plus tard maman attendait son troisième enfant. Papa eut peur de cette naissance. Et certaines peurs sont plus fortes que la vie. Elles peuvent pousser la vie à vouloir tuer la vie. Papa fut tenté de refuser cet enfant. Maman, élevée dans la religion catholique, avait un respect infini pour la vie. Bien qu'ayant déjà dépassée la quarantaine, c'est avec joie qu'elle attendit la naissance de ce second fils. Il naquit à La Rochelle en 1969. Trois semaines plus tard, nous quittions l'ancienne capitale de l'Aunis pour nous installer à Paris où Papa avait été muté.
Paris - c"était le rêve de notre mère depuis de nombreuses années. Ce n'était certes pas la clarté des eaux de la Seine que se plaisait à célébrer l'empereur Julien vers 360 qui attirait Maman. Non. C'était plutôt ce :
" Paris qui écrit
Avec la pointe de son île
Dans l'eau qui file
Un secret infini..."
( J-P Vaillant )
Mes parents avaient trois enfants à présent. Ils avaient certainement des difficultés à surmonter mais nous, les enfants, nous n'en avions pas conscience. Quant à Maman, son mari, ses enfants, emplissaient ses pensées. Elle se conformait, tout en l'ignorant, au principe goethéen qui consiste à subir " l'exigence de chaque jour ".
La femme blessée dans sa chair et dans son coeur
Au début des années 90 je vis se défaire le couple de mes parents. La jalousie de papa envers son plus jeune fils fit éclater son ménage. Il aimait son petit dernier mais à cet amour se mêlait un fort ressentiment. Il avait l'impression d'être dépossédé de l'amour de sa femme et de n'en avoir que la portion congrue. Cette rancoeur le rendait injuste et violent en paroles. Un jour il traita ma mère des mots les plus grossiers. Elle prononça alors ces mots terribles : "Tu viens de salir mon âme et mon corps. Je ne te considère plus comme mon mari". A ce moment-là je sus que rien ne serait plus jamais comme avant.